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Erik Bonneval

« L’esprit de famille »

Evoquer le parcours d’Erik Bonneval revient à tenter de saisir le parcours d’une comète tant il fut flamboyant et d’une rapidité proprement stupéfiante. Comme il le reconnaît lui-même en riant : « Tout est allé très vite. Je n’ai pas eu le temps de voir venir les choses. Je suis parti du TOEC, alors en 2ème division et je me suis retrouvé au Stade Toulousain, d’abord obligé d’évoluer en équipe réserve à cause d’une licence rouge, puis en décembre j’intègre l’équipe première. Dans la foulée, je suis sélectionné en France B, au poste de centre. Ensuite, je suis remplaçant Contre les Blacks ; « Codor » (Didier Codorniou) se blesse et je rentre au centre avec « Selloche » (Philippe Sella). »

Dit comme cela, tout paraît effectivement facile, mais ce serait oublier la richesse de l’effectif des trois-quarts toulousains et tricolores, à l’époque. Ce serait également ne pas se rendre compte que passer de la Deuxième division à l’élite du rugby français et mondial, pour un jeune de 20 ans, ne pouvait se faire sans une bonne dose de talent mais également d’insouciance ; à moins que cela ne soit simplement de la confiance en des qualités largement au-dessus de la moyenne. Car il faut bien avouer que le jeune arrière du TOEC bénéficiait déjà d’une solide réputation, dès avant son intégration au Stade Toulousain. Tout autant que reconnaître qu’à l’époque, Erik Bonneval respirait déjà la sérénité, la joie de vivre et n’était donc pas du genre à se mettre martel en tête. « Ce qui m’importait, c’était de jouer au rugby, un point c’est tout. Je n’avais pas de plan de carrière… On jouait pour jouer, c’était l’époque qui voulait cela. Ce n’était que du plaisir. »

Un parcours météorique disions-nous ? Erik témoigne : « En trois ans et demi, j’ai gagné pratiquement tout sauf la Coupe du monde, en 1987 : le bouclier de Brennus, le Tournoi, le Grand Chelem, même la Coupe du France, le Du Manoir et le Béguère… J’ai rencontré trois fois les Blacks et n’ai jamais perdu un match du Tournoi. D’accord, je n’en ai pas disputé une centaine, mais… » (rires). Et le nom d’Erik Bonneval paraissait à même d’affoler tous les compteurs de ce jeu, tant pour ce qui concerne les statistiques des marqueurs d’essais que celles do nombre de sélections. Les images de ce fabuleux Tournois des V Nations de 1987 restent encore dans toutes les mémoires. Celles d’un « ailier volant » capable de tous les exploits, de battre n’importe quelle défense grâce à des qualités athlétiques et techniques véritablement hors du commun ; sans parler d’un sens du placement et du jeu largement au-dessus de la moyenne.

Le drame de 1987

Et puis survint ce premier Mondial néo-zélandais de l’Histoire ; celui qui devait sacrer Erik comme l’un des tous premiers ailiers de son temps à l’image des futurs champions du monde John Kirwan et Craig Green, des David Campese ou Patrice Lagisquet. Celui qui allait hypothéquer la suite de sa carrière. Sans que l’on ait tout à fait conscience, au début, des véritables conséquences de ce coup du sort qui venait de frapper celui que tout le monde considérait comme l’une des futures stars de ce jeu. Que la réputation d’Erik se soit bâtie en seulement trois ans et demi dit assez clairement ce qu’aurait pu encore devenir son aura sans cet accident que les légèretés de l’époque ont rendu rédhibitoires ou peu s’en faut. Retour sur ce passé : « En 1987, je commençais à maîtriser le poste d’ailier, moi qui suis un arrière de formation et qui ai joué trois-quarts centre au début… Mais bon, j’étais déjà un finisseur en tant qu’arrière donc le changement de poste ne m’a pas posé beaucoup de problèmes. Et puis je me pète le genou lors du dernier entraînement avant le début de la compétition, lors de cette Coupe du monde inaugurale au cours de laquelle je n’ai joué que 20 minutes, contre le Zimbabwe.

En 1987, personne ne m’a conseillé sur ce qu’il fallait faire. Je suis rentré de la Coupe du monde, j’ai joué un peu au foot et le genou est reparti. J’ai alors décidé tout seul de me faire opérer après avoir vu le Dr Mansat. J’ai été opéré mi-juillet et début novembre je rejouais. J’ai même disputé en janvier une rencontre du Tournoi contre l’Angleterre. Le problème, c’est que je n’avais pas vraiment fait une bonne rééducation ; c’est peut-être la seule chose que je peux me reprocher, mais je le redis, à l’époque, personne ne m’a conseillé. Quand on a 20 ans, on est insouciant et sans doute un peu inconscient. Mais à l’époque, c’était comme cela. On jouait pour le plaisir, sans se poser de question. J’ai choisi la solution qui me semblait la plus rapide afin de revenir le plus rapidement possible. Trois ans après, je me suis pété l’autre genou, le droit, juste avant le Centenaire du Sade. Mais là, j’ai été pris en mains par Christophe Foucault qui a fait ce qui fallait pour ma rééducation. C’est toute la différence. »

Ce genre de péripétie est aujourd’hui impensable, dans un rugby professionnel où les joueurs sont étroitement suivis, choyés même parfois. Mais en 1987, l’amateurisme prévalait encore, à tous les sens du terme d’ailleurs. Et comment demander à un jeune de 24 ans, insouciant et simplement heureux de vivre et de jouer, de se projeter ainsi seule dans des sphères médico-sportives largement moins accessibles et connues que de nos jours ? Le rugby et les supporters français y ont sans doute perdu un peu de bonheur mais Erik n’en fait pourtant pas une montagne. Des regrets d’avoir vu une telle carrière amputée de grands moments à venir ? « J’aurais aimé savoir jusqu’où je pouvais aller. Jusqu’à quel niveau j’aurais pu aller. En 1991, j’avais bien récupéré, je revenais à 10 000 à l’heure. A preuve, j’ai disputé en 1993 la première Coupe du monde à 7 en Ecosse. Or pour jouer à 7 il faut tout de même avoir des cannes. Certes, mais tu n’es plus dans les petits papiers des sélectionneurs ; une parenthèse s’est refermée. Si j’avais eu Christophe Foucault en 1987… Alors oui c’est un regret, d’autant que tout s’est passé en trois ans et demi, de 20 à 24 ans. » Trop vite sans doute pour pouvoir apprécier pleinement tout ce que cela supposait et promettait.

Pères et fils

Mais Erik balaie tout cela d’un éternel sourire. Sa vie reste marquée du sceau de ce plaisir toujours à prendre. Et si cicatrice il y avait, elle a certainement été effacée par ce que vivent aujourd’hui ses deux fils Hugo et Arthur. Car chez les Bonneval, le rugby est une affaire de famille. « Mon père jouait pilier au TOEC. Heureusement, mes deux garçons jouent derrière (rires). L’un, Hugo, arrière ou ailier, l’autre, Arthur, centre ou ailier. Les trois postes auxquels j’ai joué ! Ceux qui disent que les gènes n’existent pas… Il doit tout de même y avoir quelque chose. » Erik ne boude pas son bonheur à voir ainsi ses deux fils évoluer au plus haut niveau. « Oui, c’est une fierté, un grand plaisir. J’ai du plaisir à les voir s’éclater, je sais la chance qu’ils peuvent avoir de prendre ainsi du plaisir. Mais ils n’ont jamais pour autant été intoxiqués par le rugby. Je ne leur ai jamais rien imposé. Le but de ma vie ce n’était pas qu’ils jouent u rugby ; qu’ils fassent du sport, oui, et qu’ils prennent du plaisir dans le sport qu’ils ont choisi. »

On n’imagine pas, en effet, Erik jouer les pères la vertu, s’époumoner sur le bord de touche comme d’autres peuvent le faire en projetant sur leurs enfants leurs frustrations et leurs rancœurs. Il est bien au-dessus de tout cela. De par son passé comme de par son caractère, sa personnalité, son intelligence et son amour toujours intact pour ce jeu. Alors bien sûr, il parle de rugby avec ses deux fils, comment pourrait-il en être autrement ? « Oui, on communique. C’est plus épisodique avec Hugo du fait de l’éloignement. Mais quand on parle rugby, ça dure… J’ai des discussions plus suivies avec Arthur puisqu’il joue à Toulouse. Il m’appelle après les matchs. On parle de jeu. Pour le reste, ils ont des entraîneurs. Je ne suis pas un gourou, je me l’interdit. Et puis ils possèdent chacun leurs qualités et le rugby a changé, ils se préparent différemment. Mon père, que j’ai eu la chance de voir jouer, était également comme cela. Il prenait plaisir à me voir jouer mais ne m’a jamais abreuvé de conseils. Il n’aurait plus manqué que ça, il jouait pilier… (rires). Alors si mes deux fils veulent que l’on parle rugby, on en parle, j’ai quand même la petite prétention de connaître un peu ce jeu. Mais cela ne va pas au-delà. »

Le rugby fait encore partie de sa vie grâce à ses fonctions de commentateur ; à Canal+ hier, à Bein Sport désormais. Ce qui lui permet d’apprécier les évolutions de ce jeu ; sans amertume ni passéisme, mais sans concession non plus. « Oui le rugby a évolué. C’était un sport d’évitement, c’est devenu essentiellement un sport d’affrontement. Mais bon, avec Philippe (Sella), nous étions déjà considérés comme des physico-techniques… Les règles ont changé et c’est surtout cela qui a fait évoluer le jeu. Lorsque nous allions au sol, le ballon était perdu. Aujourd’hui, les joueurs vont au sol pour se rassurer ; l’approche est complètement différente. Certains vont d’ailleurs au sol tous seuls… Nous, nous préférions passer le ballon avant d’être plaqués ou cherchions une autre solution que d’aller au sol. La règle amène à des comportements différents. Je ne suis pas critique par rapport au rugby d’aujourd’hui. La seule critique que j’émettrais, c’est que l’on a trop stéréotypé le jeu. Je dirais que trop souvent, ce sont les entraîneurs qui jouent… On impose des plans de jeu très stricts : « il faut faire trois temps de jeu comme ceci ou comme cela » quel que soit l’adversaire. Et on interdit aux joueurs de sortir de ces plans de jeu sous peine de se faire sérieusement engueuler. Ce qui rend impossible, à mon sens, la prise d’initiative et ça, ça me dérange. Nous n’étions pas toujours bons, loin de là, et nous nous faisions parfois copieusement engueuler, mais nous tenions à cette liberté de jeu. Ce sont tout de même les joueurs qui sont sur le terrain et qui savent s’il vaut mieux tenter la pénalité parce que les avants sont fatigués, botter en touche ou prendre une mêlée. »

Et derrière cette critique mesurée, loin des commentaires assassins de certains, pointe alors un brin de nostalgie, d’envie : « J’aurais en fait aimé pouvoir connaître ce rugby pro, même si je ne sais pas si j’aurais pu me plier à cette discipline… En tout cas, ce rôle de commentateur me permet de rester au contact, de suivre l’évolution de ce jeu, de m’intéresser au rugby étranger. De revoir également quelques anciens comme John Kirwan ou Scott Hastings. Certains sont devenus entraîneurs, d’autres dirigeants. Le rugby est tout de même ce qui nous a construits, qui a fait ce que nous sommes, et puis cela reste une passion. »

Rugby French Flair : partager des valeurs

« Mon implication dans RFF est partie, comme souvent, de rencontres dues au hasard. Nous nous sommes croisés avec Jean-Baptiste Ozanne, Philippe Verger, Jean-Marie Cadieu lors de ce fameux match à Central Park, sous la neige. Et nous avons décidé de poursuivre l’aventure en choisissant d’intervenir auprès d’enfants et de populations en difficulté dans des pays défavorisés. De combiner ces actions de solidarité avec le plaisir de se retrouver. Et le rugby nous permet encore aujourd’hui de prendre ce plaisir avec des mecs qui ont connu le rugby pro mais qui ont toujours envie de partager ces valeurs. »