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Francis NTAMACK

« La joie de vivre »

Une rencontre avec Francis Ntamack est synonyme de un bain de jouvence, de belle partie de rigolade, de vaccin contre la morosité tant l’ancien troisième ligne du XV de France, du Stade Toulousain, de Colomiers et de Montauban trimballe une solide philosophie de la vie avant toute chose. Une attitude sans aucun doute due à son parcours atypique mais qui ne fut pas pour autant un long fleuve tranquille, selon la formule désormais consacrée.

Lorsque l’on quitte, à l’âge de 16 ans, parents, amis et ville natale pour s’exiler dans une région inconnue du gamin que l’on a été, il faut incontestablement une belle force de caractère. Mais surtout le viatique d’une grande passion comme Francis le confie : « Je voulais intégrer un sport-études rugby or il n’y en avait pas à Lyon. Il en existait bien un à Villefranche/Saône… mais Emile venait d’entrer dans celui de Jolimont et j’avais envie de rejoindre mon frangin. Je voulais absolument faire du rugby mais j’avoue qu’il ne fut pas pour autant facile de tout quitter à 16 ans, de tirer un trait sur son enfance et son adolescence. J’ai certes gardé des contacts avec certains copains de jeunesse, mais je n’ai pas à proprement parler d’amis d’enfance. »

L’entrée dans une autre galaxie

Cette aventure « super positive au bout du compte », il a pu la vivre grâce, donc, à la présence de son frère aîné, Emile, déjà installé dans la région toulousaine. De quoi rassurer une mère inquiète de voir ainsi partir son cadet. « Le fait que Christian Gajan s’engage auprès de ma mère a également été déterminant. » Il y eut aussi cet accueil dans la famille Perron, à Lavaur, « très important car cela nous a permis, avec Emile, de retrouver une cellule familiale. De nous acclimater dans cette nouvelle région où les codes, le vocabulaire étaient différents de ceux que nous avions connus. Cela peut paraître étrange aujourd’hui, mais je débarquais dans une autre galaxie. Quand on demandait deux pains au chocolat, on nous regardait avec de drôles d’yeux ; de même lorsque l’on réclamait une poche – au lieu d’un sac plastique – dans les supermarchés…

Ce passage à Lavaur a également été très important pour se mettre à niveau en matière rugbystique. Sur le terrain ça relançait à tout va, les gars faisaient des croisées de partout. Ce n’était pas le rugby que j’avais connu et il fallait s’adapter à cette nouvelle identité. Et puis nous vivions dehors, on sortait avec les cadets, puis les juniors, on faisait des barbecues : c’était vraiment un nouveau mode de vie. Le passage à Lavaur m’a mis le pied à l’étrier, or ce n’était pas évident quand tu as 16 ou 17 ans. »

Le moteur de cette volonté, ce fut donc la passion pour le rugby ; le désir de vivre une aventure hors du commun. Car pour Francis, comme sans doute pour Emile avant lui, ce rêve s’imposa de jouer au rugby dans ce Sud-Ouest vu comme un nouvel Eden de ce jeu, et d’intégrer le Stade Toulousain en même temps que le sport-études de Jolimont. « Un rêve qui paraissait d’autant plus inaccessible qu’en ces années 1988/1989, la perspective d’un rugby professionnel était loin d’exister et que nous partions un peu au bout du monde. Et nous pensions parfois que ce rêve était réservé aux gens du Sud-Ouest. »

L’esprit de famille

Lorsque l’on prononce le nom de Ntamack, c’est invariablement aux « frères Ntamack » que l’on pense avec en point de mire la carrière d’Emile. Mais pas de quoi perturber Francis qui a toujours suivi sa trajectoire personnelle tout en ne reniant rien des liens de famille. « Nous avons deux ans d’écart avec Emile, nous nous sommes suivis dans notre parcours et nous conservons toujours une relation très proche même si nous ne sommes pas dans l’excès de contact. Je crois que cette image des frères est quelque chose qui plaît dans le rugby ; surtout auprès des journalistes qui se sont nourris de cela pour célébrer les valeurs familiales et fraternelles de ce sport. Mais il n’a jamais été difficile pour moi d’être « le frère de… » Tout au contraire, ce fut pour moi un facteur de motivation. C’est lui qui m’a accueilli lorsque je suis arrivé à Toulouse, qui m’a aidé à progresser. J’ai été fier de son premier match au Stade Toulousain, de sa première sélection. La réussite qu’il a connue, c’est énorme. Nous avons certes vécu des carrières différentes, mais quel bonheur de voir sa mère au Stade de France avec ses deux fils sous le maillot de l’équipe de France. Un bonheur pour toute la famille. C’est aussi une grande fierté de pouvoir faire vivre cela à cette mère qui nous a beaucoup donné. »

Si la carrière de Francis s’est séparée de celle d’Emile, plusieurs raisons l’expliquent. Une concurrence sévère au sein de ce Stade Toulousain dans lequel Francis a passé huit saisons. « Une concurrence féroce avec la vieille garde que représentaient les Thierry Maset, Albert Cigagna ou Karl Janik. Et puis arrivaient les Régis Sonnes, Didier Lacroix et Richard Castel. Le Stade Toulousain a fait le joueur que je suis devenu : la capacité d’adaptation à différentes formes de jeu, le volume supérieur que j’ai pu acquérir dans ma pratique. » Mais le club qui a marqué Francis de son empreinte la plus profonde, tant comme joueur que comme homme, reste l’US Colomiers.

« C’est Colomiers qui m’a permis d’exister. Il y avait là des joueurs de haut niveau, des internationaux hors du commun comme Fabien Galthié et Jean-Luc Sadourny. Le tout évoluant dans un état d’esprit qui m’allait parfaitement. Le Stade Toulousain était déjà une usine, Colomiers conservait une ambiance familiale sous la houlette de Michel Bendichou. Or j’ai toujours marché à l’affectif et là, c’était extraordinaire. Je suis arrivé dans un contexte qui me convenait parfaitement. Mais sans le Stade Toulousain, il n’y aurait peut-être jamais eu de Colomiers… »

Pas le temps des regrets

De toutes ces années, Francis Ntamack conserve des souvenirs qui n’ont nul besoin d’être embellis par la distance tant il a toujours vécu le moment présent avec un bel enthousiasme, avec un appétit jamais démenti et à la hauteur de ce rêve poursuivi dès l’âge de 16 ans et qui a débouché sur une aventure hors du commun. Aussi, nul regret n’affleure à l’évocation de ce parcours. « Peut-être quelques bémols sur quelques points précis, mais pas de regret quant à la globalité de ce que j’ai vécu. Bien sûr, j’aurais pu mieux peaufiner certaines choses, mais que ce soit en matière de rugby ou dans la vie, j’ai eu une chance incroyable. Car je suis parfaitement conscient du fait que cela aurait pu mal tourner. Un jour, au début de mon séjour à Toulouse, je suis allé au Mirail ; mes copains m’ont dit : tu es fou, il ne faut pas y aller. Je leur ai répondu : vous n’avez qu’à venir chez moi, à Vaulx-en-Velin ! C’était autre chose… »

Nul passéisme, non plus, ni de regard par trop critique et condescendant sur le rugby de maintenant. Simplement un œil averti reconnaissant les évolutions comme les dangers qui guettent un sport lancé dans l’accélération du professionnalisme. « Je trouve le rugby d’aujourd’hui agréable ; il a connu une réelle évolution, est devenu plus physique. Alors certes, il présente peut-être un défaut de créativité. Combien de clubs pratiquent un jeu créatif ? Toulon, Clermont, Montpellier, sans doute. Le jeu est devenu trop cloisonné, à 70%. Il régresse sur certains points, mais globalement, c’est tout de même super. Par contre, il faudrait se montrer un peu plus protectionniste afin de favoriser l’éclosion de joueurs français. Nous avons atteint la finale de la dernière Coupe du monde, mais ce fut tout de même… périlleux pour y parvenir. Entre le recrutement trop important de joueurs étrangers et certains manques dans la formation, reconnaissons que cela induit des dangers pour l’identité du rugby français. J’ai peur que nous perdions notre identité de jeu et que, par là-même, nos adversaires ne nous craignent plus autant. »

Rugby French Flair : une chance inouïe

Francis Ntamack est désormais largement impliqué dans Rugby French Flair. Pour tout ce que cela lui apporte mais aussi et surtout pour ce que cette association apporte aux autres. A savoir les gamins défavorisés de ces pays largement au ban du développement mondial. Et il savoure ce que la vie lui offre une fois encore entre le bonheur et la part de rêve qui va avec. « C’est une chance inouïe de pouvoir vivre encore ce genre d’aventure. Se retrouver avec d’anciens partenaires ou adversaires pour découvrir de nouveaux pays ; aider de petits rugbymen à l’autre bout du monde à vivre leur passion. La chaîne de la fraternité continue à fonctionner.

Réunir des joueurs de tous horizons pour partir en voyage afin d’apporter un peu de bonheur à ces jeunes rugbymen en herbe, c’est fabuleux. On m’aurait dit, il y a quinze ans, que j’allais pouvoir faire cela, je ne l’aurais pas cru. Nous avons la chance de vivre ce genre d’aventure alors que j’ai de nombreux amis qui n’ont jamais connu et ne connaîtront jamais cela. Cette opportunité, c’est extraordinaire. On part avec des potes ce à quoi s’ajoute le côté humain de ce que nous pouvons apporter aux gamins. Et je peux dire que lorsque l’on rentre d’un tel voyage, on relativise ce que nous vivons ici quotidiennement et on se dit que la vie et encore belle et qu’elle vaut la peine d’être vécue.

S’investir dans ce genre de projet, c’est la cerise sur le gâteau d’une vie de rugbyman. J’en ai parlé un jour à Jean-Luc Sadourny qui m’a répondu : « continue, profites-en ». C’est sûr, il faut en profiter dans cependant galvauder l’esprit de ce projet. Lors de chaque voyage, nous disputons un petit match contre des équipes locales et comme nous ne pourrons pas jouer jusqu’à 55 ans… A 25 ans, on boude toujours un peu son plaisir, mais là, on sait que ce ne sera pas éternel alors il faut en profiter à 200%. »