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Thierry LOUVET

« L’indien du RCT »

Lorsque l’on évoque le nom de Thierry Louvet, une image vient immédiatement à l’esprit, celle de ce troisième ligne dur au mal, gros défenseur et dévoreur d’espace tout autant que combattant dans ces regroupements ou mêlées ouvertes que l’on n’appelait pas encore rucks; un troisième ligne atypique de par sa longue chevelure qui lui avait valu le surnom d’Indien. Un surnom comme un étendard qui a franchi les années sans rien perdre de sa force ni de sa couleur. « C’est rigolo », confie-t-il dans un rire. « Ce surnom est en fait venu des supporters à cause de ma longue chevelure et de mon teint mat. C’est rigolo, car ce surnom m’allait et me va comme un gant puisque j’ai toujours eu un faible pour l’histoire des peuples amérindiens. J’aime leurs coutumes, leur mode de vie tel qu’il ressort des bouquins que j’ai pu lire. »Ce look si particulier, Thierry Louvet le revendique comme une forme sinon de révolte du moins d’affirmation, à l’heure de sa jeunesse. « Avec mon père ancien militaire, les cheveux courts et l’éducation rigide étaient de rigueur. Donc cette longue chevelure constituait une forme d’émancipation, une affirmation de soi un désir de liberté. Il est vrai que ce n’était pas courant dans le rugby, à l’époque. Mais comme je suis plutôt atypique… Je n’aime pas trop les schémas; je pense qu’ils sont faits pour être déformés, cassés. » Il est alors tout à fait logique que Thierry Louvet se soit retrouvé parfaitement à son aise dans ce RC Toulon qui était et demeure un club pas comme les autres. « Il est vrai que le RCT était un club atypique composé de joueurs atypiques. Et je ne parle pas de l’entraîneur d’alors qui était encore plus atypique que nous… Cette image explique d’ailleurs les sentiments que les personnes extérieures peuvent éprouver vis-à-vis du RCT. C’était un club caractériel et je ferai la comparaison avec ce que l’on peut ressentir vis-à-vis de gens caractériels. Les sentiments oscillent toujours entre amour et haine. On a envie de les aimer comme on les déteste ou bien de les détester comme on les aime… Vis-à-vis du RCT, c’est la même chose. »

Une histoire d’amour avec Toulon et le RCT

Entre Thierry Louvet et Toulon existe bien indéniablement une forme de symbiose. Sur laquelle le temps n’a pas de prise. Ce que confirme cette confidence glissée au fil de la conversation : « Je n’aurais pas pu jouer dans un autre club, c’est sûr. J’ai pourtant eu des propositions d’autres équipes, mais il n’était pas question que je parte. Mon rêve de gosse, c’était de jouer à Mayol et je ne concevais pas d’aller ailleurs. » Une profession de foi qui dépasse d’ailleurs le seul cadre du RCT, car c’est de Toulon qu’il ne pouvait s’éloigner durablement. « Mon attachement à la région est viscéral. J’ai eu la chance de pouvoir voyager dans le monde entier, mais quand je ne vois plus le Mont Faron et la Méditerranée… Toulon est une ville qui possède un caractère sans pareil. Elle le tient sans doute de cette situation entre le Faron et la mer, de son statut d’enclave entre mer et montagne. De son statut également de ville laborieuse, de port qui n’a rien à voir avec un port de plaisance, de loisirs. »

Ce rugby toulonnais fait de rigueur et de combat, de courage et de virilité, d’enthousiasme et d’excès, de coups de gueule et de fraternité ne pouvait que coller effectivement au vécu et aux ambitions de Thierry Louvet, lui qui, depuis le plus jeune âge, avait été initié par son père dans les tribunes de Mayol autant que devant les matchs d’un Tournoi des V Nations retransmis sur une télé encore en noir et blanc. Et l’un des souvenirs majeurs de sa carrière demeure la première entrée dans les vestiaires des « grands » dans l’ancien stade Mayol. « Et puis, ensuite, l’entrée sur la pelouse. J’ai alors immédiatement cherché des yeux mon père, dans les tribunes, afin de croiser son regard. Je sais qu’il était très fier de me voir là, au milieu de tous ces grands joueurs qui m’avaient fait rêver. » On peut effectivement imaginer ce que pouvait ressentir un jeune minot de la rade en pénétrant sur la pelouse de ce « stade à nul autre pareil ; qui vibre plus intensément que n’importe quel autre » et dans lequel Thierry Louvet a vécu des années de bonheur, de jeunesse folle avec tous ces gens qui m’ont marqué. Ceux de ma génération avec laquelle j’ai guerroyé pendant dix ans et avec qui nous nous voyons régulièrement pour boire un coup, manger un morceau. Ceux de la génération suivante, les Yann Delaigue, Ponpon, Teisseire et autres avec qui j’ai vécu une autre épopée, celle de 1992. Et puis sans oublier Daniel qui a fait le Toulon de 1987. Qui a su mobiliser notre énergie, qui avait parfois tendance à se « disperser », pour en faire une force. »

Cette jeunesse aurait certainement été plus turbulente sans le rugby. « Il m’a permis de canaliser une énergie qui sans cela aurait pu se déverser dans d’autres canaux. Un truc tout con ; lorsque je me battais sur un terrain de rugby, on m’applaudissait. Dans la vie je me serais retrouvé en prison. » De quoi donner du sel à l’existence sans pour autant se trouver pris hors-jeu. « Et puis à Chicago1 on pouvait faire des apprentissages… »

Mais cette jeunesse sans souci ne doit cependant pas faire perdre de vue la force des sentiments filiaux et familiaux de celui qui a toujours été une forme de chef de famille pour ses frères et soeur. « Mon père était le boss, mais je me suis toujours occupé d’eux. Notre famille était très soudée, une forme de clan. Et j’avoue avoir été très marqué par le décès de mes parents, il y a sept ans. Cela fut très difficile. Au-delà de l’absence, de ce vide soudain, tu te retrouves en première ligne, à devoir assumer cette absence. »

Souvenirs douloureux qui témoignent d’une sensibilité que l’image du joueur, du troisième ligne bouillant et dur au mal aurait pu brouiller, effacer. L’image de cet Indien qui allait retrouver, à peu près à la même époque, des racines rêvées lors d’un voyage en Amazonie. Lui, le féru d’histoire amérindienne, n’avait pourtant jamais voulu aller sur la « terre des ancêtres », dans les prairies nord-américaines où s’est inscrit le parcours de ces tribus mythiques. « J’avais eu de mauvais échos de leur situation actuelle : enfermement dans des réserves, alcoolisme, etc. Je voulais conserver d’eux une image positive, celle qui ressortait de tous les bouquins que j’avais pu lire. Par contre, avec deux amis, nous nous sommes rendus en Amazonie, pour vivre un mois dans la jungle en autarcie totale. Nous avions pris pour nous accompagner deux indiens rencontrés dans un village et avons vécu de chasse et de pêche. Ce furent parfois des moments très difficiles à tel point que j’avais perdu 20kg… En fait, nous étions dans l’illégalité la plus totale parce que les autorités du pays autorisent simplement des parenthèses d’une journée soigneusement encadrées. Nous, nous sommes partis à l’aventure, pour contempler notamment, après plusieurs jours de navigation et de marche, des peintures rupestres de toute beauté. Quelques rares scientifiques les ont vues, mais ils s’étaient fait déposer par hélicoptère. Nous, nous avons traversé la jungle et avons beaucoup appris de nos deux accompagnateurs indiens. Ils se contentent de rien pour vivre et tu t’aperçois que notre mode de vie est aberrant. »

De ce voyage, Thierry Louvet est ressorti renforcé dans ses convictions. Qui le conduisent à envisage d’un oeil critique le rugby d’aujourd’hui. « Je dirais qu’il me semble perdre de plus en plus son identité. Je ne suis certes pas pour que l’on ferme, pour que l’on barricade tout, mais notre identité a tendance à se diluer. On dirait que nous avons peur, ou honte de notre identité. Et c’est certainement un problème qui dépasse le rugby. Dans notre société comme dans le rugby, les rapports humains sont de moins en moins présents, forts. Certes, le rugby est devenu professionnel et on ne peut plus raisonner comme avant. Il est tellement porteur en matière économique que sa nature a changé. Nous sommes dans une société de consommation et l’important est l’image que l’on donne. Résultat, on préfère aller chercher une star que de faire jouer un minot. Aujourd’hui, quand on aligne un ou deux minots dans une équipe, on dirait que l’on va révolutionner le monde. Mais les minots de 18 ans de maintenant ont changé et ne sont plus comme nous l’étions à leur âge. Et il faudrait alors savoir à quoi servent les centres de formation si ces minots ne sont pas prêts pour le haut niveau à 18 ou 20 ans. Et je dirais qu’aujourd’hui, il devient de plus en plus difficile de parler de valeurs du rugby. »

Est-ce à dire que le RCT de ces dernières années ne suscite pas chez lui le même enthousiasme que celui qu’il éprouvait pour le Toulon d’antan ? « Je reconnais que ces titres de champion d’Europe décrochées ces dernières saisons, c’est grand. Mais personnellement, je préfère les titres de champion de France… Pour moi, ils ont plus de valeur car il faut se battre pendant toute une saison, au fil de tous ces matchs. En coupe d’Europe, si on tombe dans une bonne poule, on a un ou deux matchs difficiles avant les phases finales. Le Top 14, c’est autre chose. C’est pour cela qu’un bouclier de Brennus a pour moi une autre saveur. Je me souviens du titre de 1987… Une énorme explosion, comme si toute la ville avait explosé ! Et lorsque j’entends que certains veulent supprimer les phases finales, je me dis qu’ils n’ont rien compris. C’est cela qui fait la grandeur et le bonheur de ce sport. Alors certes, cette opinion tient sans doute au fait que la Coupe d’Europe n’était pas aussi importante, à mon époque, mais… En tout cas, j’ai trouvé dans le Toulon de ces deux dernières années des joueurs vraiment pro. Des gens qui sont vraiment venus pour faire le job pour lequel ils avaient été recrutés. Des joueurs qui ont mouillé le maillot. Et j’avoue que j’aurais bien aimé jouer avec ou contre des types de la trempe de Bakkies Botha. »

Rugby French Flair : une histoire d’amitié et de valeurs

Si Thierry Louvet est entré dans le giron de Rugby French Flair, c’est pour une question d’amitié. « Par le biais de Franck Comba, j’ai rencontré Jean-Baptiste Ozanne. On a discuté, ils m’ont présenté leur projet et je leur ai dit que s’il y avait moyen de faire quelque chose, j’étais partant. Redistribuer un peu de ce que le rugby nous donné à des gens dans des pays pauvres, je trouve cela très bien justement par rapport à ce que le rugby que nous avons vécu véhiculait. C’est pour moi un retour aux valeurs de partage et d’amitié qui étaient les nôtres. Et puis cela nous permet également de revoir des joueurs que nous avons côtoyés durant notre carrière de joueur et d’apprendre à mieux les connaître. Tout cela est donc très valorisant. »